Ainsi Thomas Snyder s'empare d'un troisième titre de champion du monde de sudoku, après avoir dominé aussi bien la finale que les épreuves préliminaires. Compte-rendu du 6e Championnat du Monde de Sudoku qui s'est tenu dans la ville hongroise de Eger, les 7 et 8 novembre :
Dimanche, arrivée à l'aéroport de Budapest sans problème, où nous sommes accueillis puis conduits à Eger (près de deux heures de route) après avoir récupéré quelques autres participants. Chambres - doubles - petites mais avec salle de bain indépendante et balcon, ainsi qu'un accès Internet et une télévision dont j'aurai actionné l'interrupteur exactement une fois, afin de l'éteindre après l'avoir allumée par inadvertance. Je retrouve quelques têtes connues et en découvre d'autres, et après la cérémonie d'ouverture et la séance de questions/réponses vient rapidement l'heure de se coucher afin d'être en bonne forme pour le premier jour de compétition.
Lundi, 10h40, début des épreuves ; en avant pour 48h de résolution acharnée.
Épreuve 1 : Wrong puzzles ? (20')
Parlons franc : difficile pour les organisateurs de débuter plus mal la compétition, avec une épreuve n'ayant rien à voir, de près comme de loin, avec la résolution d'un sudoku. 60 grilles nous sont données, de taille variant entre 6x6 et 12x12, et toutes étant déjà complétées ; notre tâche s'avérant de déterminer pour chacune si la solution est valide ou non. Peu motivé et, il faut le dire, peu organisé, je viens à bout de 37 grilles dans le délai – il s'avèrera plus tard que j'ai commis 3 erreurs - pour un score total de 86 points me plaçant d'emblée en queue de peloton, du moins parmi les prétendants à une bonne place.
Épreuve 2 : Sudoku pieces (30')
Il est cette fois question de résoudre une grille – mais une seule, sans papier ni crayon, avec pour support une grille en papier épais de taille 50x50cm et pour outils des carrés de carton comportant chacun une photographie différente parmi neuf, à savoir des monuments de Budapest. En dehors de cela, la règle de la grille est la suivante : chacun des indices donnés est faux, mais doit impérativement être présent dans une des cases adjacentes à la case en question. Ainsi, si l'indice présent en L1C1 est, mettons, un pont, un pont doit alors se trouver en L1C2 ou L2C1, sauf si l'une de ces cases contient également un pont pour indice.
Là où le bât blesse, c'est que les carrés de carton, une fois placés sur la grille, deviennent quasiment indiscernables des indices donnés, et masquent du même coup l'indice sur lequel ils sont placés. La résolution de la grille en est rendue extrêmement malaisée et désagréable. Ne trouvant aucun moyen de contourner efficacement ces problèmes et me laissant gagner par le stress, j'enchaîne les erreurs durant une demi-heure et termine l'épreuve en sachant que j'hériterai d'un zéro. Le profil d'une finale manquée à cause de ces deux épreuves passablement ridicules se dessine déjà et j'ai un peu de mal à conserver la bonne volonté qui m'animait en arrivant.
Repas léger, puis reprise des hostilités avec – enfin – du sudoku !
Épreuve 3 : Easy classics (45')
Première constatation : les organisateurs hongrois sont fâchés avec l'anglais, au vu de leur définition de « easy ». 6 grilles 6x6 et 16 9x9 à résoudre en 45 minutes : le délai serait exagéré pour des grilles véritablement faciles ; il s'avèrera tout juste suffisant avec 3 personnes finissant l'épreuve dans les temps. Suite à quelques erreurs, je fais l'impasse sur une grille et termine avec 555 points sur 580, en 5e position.
Épreuve 4 : Halved squares (40')
Une variante de conception hongroise, proche du sudoku irrégulier/chaosudoku. Je pars confiant sur cette épreuve, m'étant senti à l'aise sur la poignée de grilles que j'avais pu faire auparavant (essentiellement celles des qualifications hongroises). Je déchante rapidement après avoir coincé sur la première grille à 50 points (loin d'être la plus difficile a priori) et, quitte à peiner, me lance sur les deux plus grosses (55 et 80). Celle à 80 points tombe sans difficulté, mais une erreur se fait jour à la fin de la 55. Impossible de corriger et compte tenu du temps qu'elle m'a demandé, je préfère revenir sur les grilles à 50 n°2 et 3. À la fin, 265 points sur 370, bien loin derrière les 425 de Thomas Snyder et les 300+ de nombreux autres joueurs. En refaisant les grilles plus tard, je m'apercevrai que l'erreur sur la 55 n'était rien de plus qu'une minuscule confusion en fin de grille, que j'aurais pu rectifier en quelques secondes. Sur la 50 n°1, un placement simple m'avait échappé en dernière colonne... Contrairement à ce que j'ai pensé sur l'instant, les 370 points étaient bien à ma portée ; le score de Thomas n'en demeurant pas moins impressionnant.
Épreuve 5 : Central clues (40')
Première épreuve de variantes diverses. 40 minutes pour 11 grilles ; nous nous attendons à une difficulté moyenne très raisonnable, mais les grilles s'avèrent un cran au-dessus de nos expectations. En réalité, examinées à tête reposée, elle sont effectivement très abordables et chacune dispose d'un talon d'Achille plus ou moins évident mais sur le coup bien peu m'auront sauté aux yeux. Je coince notamment sur l'enfantine Primes in the center : il faudra que, après l'épreuve, l'on me mette sous les yeux que, du fait que les « zones premières » étaient agencées sous forme de croix, quatre nombres premiers d'un chiffre apparaissaient ; la seule « difficulté » restant étant alors de déterminer qui de 785 ou de 587 est premier... 285 points sur 480, un assez piètre résultat. Kota Morinishi est le seul à terminer, mais tout juste dans les clous.
Épreuve 6 : Circle sudoku (équipes - 40')
Cette première épreuve par équipes consiste en 8 grilles réparties en cercle autour de plusieurs roues dont la fonction est de permettre le transfert de chiffres d'une grille à l'autre. 4 classiques, 4 variantes. L'équipe progresse bien et résout 5 des grilles, mais une minute nous manque pour finir la 6e... et nous laissons deux cases vides sur la 7e. 300 points de perdus, qui auraient pu nous rapprocher du podium final. L'épreuve en elle-même était fort bien conçue, les transferts judicieusement disposés et la difficulté globale parfaitement évaluée. Une réussite.
Épreuve 7 : Vasarely sudoku (équipes – 40')
4 grilles, mais surtout 32 pièces de papier constitués chacun de 9 cases et comportant un ou plusieurs chiffres ; but du jeu : faire correspondre 8 des morceaux à chaque grille, puis résoudre celles-ci. Notre progression est assez lente par manque d'organisation, mais nous finissons par résoudre trois des grilles. La quatrième devrait être un jeu d'enfant, mais notre défaut d'organisation se révèle malheureusement fatal : nous nous retrouvons devant la dernière grille avec dix pièces au lieu de huit, dont deux ont donc manifestement déjà utilisées pour résoudre une autre grille ; de surcroît, il s'avère que, ayant finalement éliminé deux pièces surnuméraires, les huit nous restant ne permettent pas de résoudre la grille. Le temps nous manquera pour passer en revue les 22 autres pièces afin de retrouver celles correspondant à celle-ci. Nous nous contentons de 900 points là où les équipes de notre niveau décrochent entre 300 et 1000 points de rab. Là encore, autant pour nous éloigner du podium...
Au-delà de notre score, l'épreuve manquait, je trouve, d'intérêt à côté de la 6e.
Épreuve 8 : Decorated sudoku (60')
Deuxième partie de variantes en vrac. Une surprise nous attend en découvrant les grilles : pour chacune des 5 variantes, deux grilles sont proposées : l'une d'entre elles contient uniquement des indices (la « décoration ») et l'autre, uniquement des chiffres. Bel effort de conception, même remarquable pour certaines grilles, induisant deux modes de résolution radicalement différents pour une même variante. J'en recommence malheureusement plusieurs et termine avec 395 sur 640. Jakub O. l'emporte avec 525.
Épreuve 9 : Sprint (30')
Deuxième partie « classique ». 18 grilles réparties entre sudokus classiques, irréguliers et diagonaux, de difficulté globalement facile. Là encore, quelques erreurs m'empêchent de compléter ce set qui me convenait pourtant bien : 340 sur 360, et le 4e score.
Épreuve 10 : Sudoku mix (70')
Troisième et dernière, et plus grosse, partie de variantes diverses. Initialement planifiée sur 60 minutes, finalement étendue à 70. 27 grilles de 15 types différents ! Le délai semble largement insuffisant : il s'avèrera effectivement l'être, malgré l'extension accordée. Thomas ne dépasse pas les 620 points, sur un maximum de 940. Mon score de 575 m'offre la 4e place. Même en laissant de côté les erreurs, les 940 étaient hors de portée ; l'erreur d'estimation (mais peut-être était-ce un choix délibéré) est regrettable car elle fait de l'épreuve une sorte de loterie : du fait du choix trop important de grilles, l'on est obligé de faire l'impasse sur certaines sans même avoir pu leur jeter un coup d'oeil.
Épreuve 11 : Not easy classics (45')
Curieuse épreuve en vérité. 4 grilles faciles à 15 points, dont la présence est passablement incongrue, puis les difficultés commencent... et les ennuis avec. La progression sur la 5e grille est assez facile et s'achève par un B.U.G : « not easy » mais raisonnable, et intéressant. À partir de la 6e grille en revanche, les choses se gâtent et nous avons droit à une alternance de grilles « humaines » (7, 8, 11 à l'extrême limite, et 14) et déraisonnables (6, 9, 10, 12 et 13), le tout ordonné visiblement sans le moindre rapport avec la difficulté réelle de la grille. Comme toujours en sortant de ce type d'épreuve, deux sentiments dominent : la frustration d'avoir passé trois quarts d'heure à résoudre des grilles sans éprouver de plaisir, et l'incompréhension de voir encore et toujours de telles épreuves avoir lieu. On ne peut enfin s'empêcher de se demander de quelle façon sont testées les grilles pour en arriver à placer une grille se résolvant à l'aide de doublets après une autre réclamant des forcing chains.
Quoi qu'il en soit, je m'en tire – comme prévu – assez mal, notamment parce que je commets l'erreur d'aborder les grilles dans ce que je pense être l'ordre normal de progression : en faisant ainsi je ne jette pas même un coup d'oeil à la dernière classique qui est, par comparaison avec certaines des grilles précédentes, d'une facilité déconcertante : 32 placements simples, puis une évidente boucle interdite ou un XY-Chain de 4 maillons en viennent à bout. Bilan : 300 points sur 590, pour un meilleur score de 425. Petite consolation toutefois : notre équipe s'en tire avec le meilleur score cumulé (non grâce à moi !).
Épreuve 12 : 3D sudoku (30')
La dernière épreuve individuelle consiste en un cube de papier de côté 4 , constitué de régions irrégulières, dont il est possible d'ôter deux sous-cubes de côté 2 et 3, le grand cube d'origine de même que les deux grands cubes tronqués obtenus par le retrait de l'un ou des deux sous-cubes possédant chacun une solution propre. Au-delà des quelques difficultés induites par le relief, la grille est abordable et après un début laborieux j'en viens à bout en un peu plus de 17' – nous serons nombreux à finir l'épreuve dans les temps. 200 points sur les 140 de base, contre 230 pour Jan Mrozowski.
Une épreuve de type manipulation certes, mais éminemment plus plaisante que l'épreuve n°2, et mon score n'a rien à voir là-dedans. Nous avions là affaire à un pur sudoku, qui aurait tout aussi bien pu nous être présenté en deux dimensions ; l'ajout de la profondeur ne faisait ici que procurer un certain plaisir tactile.
Le cube
Épreuve 13 : Weakest link (équipes - 60')
Comme son nom l'indique, l'épreuve se base sur le principe du maillon faible : tous les joueurs commencent ainsi l'épreuve à une table individuelle et doivent résoudre 4 grilles de type GT/Inégalité avant de pouvoir rejoindre la table de leur équipe afin de travailler aux « véritables » grilles. Celles-ci sont également des sudokus GT, mais liés deux à deux par des relations de type pair/impair et grand/petit : une case A, paire dans la première grille, sera forcément impaire dans la deuxième, et ainsi de suite. Le premier joueur arrivé se voit remettre la première grille, le deuxième la deuxième, etc. Ainsi, si l'un des joueurs ne vient pas à bout de ses 4 grilles individuelles, c'est un quart de l'épreuve qui ne parviendra jamais à la table commune.
Par chance notre équipe est constituée de joueurs/ses rapides et suffisamment polyvalents pour réduire à néant un tel risque. J'ai d'ailleurs assez confiance en nos chances de réaliser un bon score sur cette ultime épreuve. De fait, je parviens assez rapidement à bout de mes 4 grilles, pour ainsi dire dans la même seconde que mon bon ami Frédéric Stalder - l'occasion d'échanger quelques mots avec lui au grand dam des arbitres - et prenant place en premier à la table. Mes coéquipier(e)s me rejoignent après quelques minutes alors que j'ai déjà un peu avancé sur la première grille, et, procédant cette fois de façon exemplaire, nous bouclons les 4 l'une après l'autre, sans difficulté, en un peu plus de 40 minutes (ce délai comprenant la résolution préalable des grilles individuelles) ; nous terminons l'épreuve en 3e position derrière les écrasants tchèques, inaccessibles sur ce type de grilles, et l'équipe chinoise.
Ainsi prennent fin les épreuves de ce WSC. Suite à quelques contestations (grilles n'ayant pas été comptées, etc.), j'échoue en 11e position, soit très exactement aux portes de la finale, confirmant ainsi les craintes acquises dès le matin de la première journée de compétition. Mon sentiment d'ensemble est un peu mitigé, en raison principalement du fait que la finale m'échappe, non à cause de mes capacités insuffisantes en sudoku, mais bien plutôt du fait de deux épreuves dont la première était, tout simplement, tout sauf du sudoku, et la seconde une partie de roulette russe : pour peu que vous eussiez de la peine à distinguer les pièces, la progression était rendue extraordinairement ardue. D'autres que moi, et non des moindres, s'y sont fait prendre, à l'instar de Jakub Ondrousek (3 pts/180) ou de Ulrich Voigt (6pts/180), rien moins que septuple champion du monde de puzzles, dont on peut difficilement supposer qu'il a failli pour cause de niveau technique insuffisant. Comme je l'ai dit ailleurs, l'idée avait le mérite d'être originale, mais son exploitation se sera avérée désastreuse.
Notre équipe (France - A) s'empare de la 6e place malgré une gestion assez moyenne des épreuves par équipes. Je pense qu'il nous était possible de faire encore mieux, mais nous réalisons tout de même, pour autant que je sache, la meilleure performance française à un WSC.
Enfin, c'est l'heure de la finale (18h15 heure théorique, nettement plus tard en pratique). Les quatre noms que j'annonçais avant le début du championnat s'y retrouvent, aux côtés de six joueurs qui étaient tous également attendus : Kota Morinishi, Tiit Vunk, Florian Kirch, Jan Novotny, Nikola Zivanovic et Michael Ley. Le déroulement de la finale est des plus originaux : la salle est organisée en 9 rangées de tables, chacune correspondant à l'une des grilles. Les trois premières rangées comportent 10 tables, les trois suivantes 7 et les trois dernières 5. Ainsi, à l'issue de la troisième grille, seuls les 7 joueurs les plus rapides trouveront un siège ; les 3 derniers s'arrêteront là ; de même, à l'issue de la sixième grille, seuls les 5 meilleurs auront la chance de pouvoir se frotter aux 3 dernières grilles, qui les départageront donc. D'autre part, reprenant en cela l'excellent principe du WSC 2010, les joueurs ne démarreront pas simultanément mais en fonction de leur classement à l'issue des épreuves préliminaires. Thomas Snyder s'élance ainsi avec 3 minutes d'avance sur Jan Mrozowski, et ainsi de suite jusqu'à Jakub Ondrousek qui entamera la première grille exactement 10 minutes après Thomas.
Les grilles alternent entre classiques et variantes déjà rencontrées lors des épreuves : False clues, Even/odd regions, etc. D'emblée, Thomas part sur un très bon rythme alors que Jan semble désespérément coincé sur la seconde grille. Thomas ne sera jamais véritablement inquiété, mais derrière lui la lutte fera rage jusqu'au bout avec trois hommes se détachant clairement : Kota, Tiit et Hideaki, pourtant parti neuvième. À l'arrivée Thomas Snyder s'empare donc de son troisième titre, Kota Morinishi décroche une belle médaille d'argent et Tiit Vunk de bronze, et avec enthousiasme s'il vous plaît ! Hideaki échoue à la quatrième place suite à une finale particulièrement impressionnante.
Globalement, les organisateurs méritent de chaleureuses félicitations pour l'excellente qualité de la plupart des grilles, l'absence totale de grilles fausses ainsi qu'une tenue du tournoi des plus efficaces, avec pour principal bémol le très lent affichage des résultats. L'équipe de France quant à elle sort de ce championnat forte de sa meilleure performance, aussi bien en individuel que par équipes. L'expérience valait à n'en pas douter le détour, et mon seul souhait aujourd'hui est que le championnat 2012 s'avère aussi plaisant, ce qui constituera à n'en pas douter un véritable challenge pour la Croatie, pays hôte l'an prochain.
À suivre : le compte-rendu du 20e World Puzzle Championship.